L’Association des Ecrivains Sportifs vous présente ses premiers recensions dans le cadre des prix de l’AES 2022 :
LA COURSE EN TETE
Qui a dit que les cyclistes se contentaient de pédaler comme des automates négligeant de perdre leur temps en réflexions au long cours ? Fred Poulet prouve le contraire avec à-propos. Mieux, il a pris le parti de s’installer pour de bon dans la tête de Marco Pantani, une nuit durant, quelques heures avant que celui-ci ne frappe les imaginations sur les routes du Tour de France et l’une des plus célèbres d’entre-elles en particulier qui, au cœur du massif alpin, conduit les coureurs jusqu’à l’Alpe d’Huez. Encore traumatisé par l’accident (double fracture tibia-péroné) qui, deux ans plus tôt, faillit dilapider toutes ses chances de refaire un jour du vélo, le « pirate » se fait proprement une montagne de l’obstacle à venir. « 21 virages » comme autant de mise en demeure que Poulet visite, chapitre après chapitre, au gré d’un crescendo maîtrisé et de flash-backs éclairants qui nous en apprennent beaucoup sur ce champion atypique si représentatif d’une époque où le cyclisme ne savait plus très bien à quel saint se voué. Même un rien formel, l’exercice est parfaitement convaincant.
21 virages, Fred Poulet
Éditions En exergue, 2022
SAUVE DES EAUX
C’est un destin cousu de fils d’or. L’histoire d’un nageur juif prometteur. Dénoncé et déporté. Survivant miraculeux et à nouveau compétitif au sortir de la guerre. En l’espace de quelques année, Alfred Nakache, longtemps abandonné aux oubliettes de l’histoire, a acquis un (mérité) statut d’exception. Les artistes de tous bords (documentaristes, auteurs de BD, etc.) ont rattrapé le temps perdu et visiter, chacun à leur façon, la vie mouvementée du rescapé. Il y a peu, le chanteur et comédien Amir Haddad a, lui encore, proposé une attrayante version théâtrale (« Sélectionné ») de ce parcours semé d’embuches et néanmoins ouvert sur des perspectives enthousiasmantes. Dans son propre récit, Renaud Leblond joue sur un registre similaire. Son discours est clair et documenté. Des faits, des dates, mais aussi – c’est une constance dans tous les comptes rendus – un nombre non négligeable de zones d’ombre. L’intéressé lui-même demeura toujours très discret jusqu’à sa mort (en 1983). Manque, ici et là, quelques certitudes, certaines preuves irréfutables, mais l’essentiel est acquis : c’est aussi le sport, ses valeurs et ses vertus, qui ont permis à Nakache de maintenir sa tête hors de l’eau.
Le Nageur d’Auschwitz, Renaud Leblond
Éditions L’Archipel, 2022
GARDIEN DU TEMPLE
C’est un peu le footballeur inconnu remis dans la lumière que Dimitri Manessis et Jean Vigreux se sont appliqués à réhabiliter. Rino Della Negra était d’origine italienne, pauvre et démuni, mais le football lui a donné quelques raisons d’espérer. Parce qu’il y excellait mais aussi parce qu’il le considérait d’abord comme un lieu de partage et de tolérance. C’est dans cet esprit en tout cas qu’il le pratiquait au début des années 1940, en banlieue parisienne, sous occupation allemande. Presque naturellement, il a, parallèlement, rejoint, avec la même foi solidaire, une sélection un peu particulière : le camp des FTP-MOI de Missak Manouchian le plus célèbre des « terroristes émigrés » (selon le vocable nazi) revendiqué pour qui la France équivalait à tous les paradis du monde. Ce but ultime lui sera fatal. Arrêté, il fut fusillé alors qu’il n’avait pas encore fêté ses vingt ans. Mais il marquera à ce point les esprits qu’aujourd’hui encore certains supporters du Red Star célèbre sa mémoire et plus encore à ses convictions dès lors les fondements sociaux de leur équipe sont remis en cause. Difficile de rêver meilleur gardien du temple.
Rino Della Negra, Dimitri Manessis et Jean Vigreux
Éditions Libertalia, 2022
BALLADES AQUA-POETIQUES
« Il lui fallait maintenant s’enfoncer dans la mer chaude, se perdre pour se retrouver, nager dans la lune et la tiédeur pour que se taise ce qui en lui restait du passé et que naisse le chant profond de son bonheur ». En ouvrant son livre par cette phrase d’Albert Camus, l’auteur donne le ton d’une série de petites histoires aussi étonnantes que passionnantes ; histoires qui font écho à la promesse d’une couverture colorée et évocatrice. Il faut dire que Lucas Menget, journaliste et directeur adjoint de franceinfo, livre ici une série de souvenirs et de ballades aqua-poétiques sur des sujets bien divers mais qui ont tous la natation ou la nage pour point commun. On passe ainsi des récits personnels aux références connues (ou méconnues) de l’histoire culturelle du sport : la piscine de l’hôtel Hamra à Bagdad, le regard sensuel de la nage selon Jacques-Henri Lartigue, le « Défi Monte-Cristo » des nageurs en eau libre, les ballets aquatiques d’Annette Kellerman, la scène mémorable de Burt Lancaster dans The Swimmer (1968), etc. Quant au titre de l’ouvrage, subtil, il évoque en deux petits mots les pensées libres d’un auteur passionné pour qui la natation est à la fois un filtre de lecture et une source d’inspiration.
Nages libres, Lucas Menget
Éditions des Équateurs, 2022
ATHLETISME COMPOSITE
Le livre de Cyrille Martinez se compose de quinze épreuves – comprenez quinze histoires – par lesquelles l’auteur revient sur sa passion pour la course à pied et, plus précisément, pour les coureurs du sud-ouest de la France dans les années 1970. Ancien coureur, amateur des belles lettres et bibliothécaire, Cyrille Martinez prend le parti, à mi-chemin du reportage sportif et de la poésie, d’emmener le lecteur dans un univers de corps courants dont les portraits sont inspirés de souvenirs encore vifs. Il présente toute une kyrielle d’athlètes aux profils bien différents, où cohabitent d’ailleurs, anonymes et champions, en cherchant moins à savoir ce qui les motivent, que ce qui les émeut et comment ils se meuvent. Avec une écriture nostalgique, sensible, fluide, il retrace par petites touches le semi-marathon Marvejols-Mende, la piste en cendrée de Saint-Ruf, la performance exceptionnelle de Michel, la remarquable trajectoire de Yacine et, bien évidemment, le marathon de Jean-Claude. Autant d’anecdotes composites traitées avec une vision ethnographique qui s’inscrivent dans une lignée de références aisément identifiables : Allan Sillitoe, Philippe Delerm et Jean Echenoz entre autres.
Le Marathon de Jean-Claude et autres épreuves de fond, Cyrille Martinez,
Verticales, 2022